Musée-Château
Du 23 juin au 10 octobre 2022
Synopsis
Le réchauffement climatique des dernières décennies est particulièrement visible en milieu extrême. Dans les Alpes, la fonte des glaces et des neiges d’altitude met au jour des vestiges archéologiques qui, jusque-là, étaient préservés dans leur écrin de glace.
L’exposition s’ouvre sur une présentation des glaciers alpins et de l’impact des variations climatiques depuis le milieu du XIXe siècle, à travers une sélection de représentations (tableaux, gravures, photos) de différentes époques.
Un panorama de 8 000 ans d’histoire alpine se révèle à travers une sélection d’objets archéologiques, allant de la Préhistoire (VIe millénaire avant notre ère) à l’ère industrielle (XIXe siècle) : arcs et flèches, outils, équipement de voyage, chaussures et vêtements. Découverts par hasard ou lors de recherches dans les Alpes suisses, françaises et autrichiennes, ils montrent à la fois l’empreinte humaine laissée par l’exploitation des ressources montagnardes, et les traces plus fugaces des gens de passage dans ces zones à l’écart de la civilisation.
Cette exposition est réalisée en partenariat avec le Musée d’histoire du Valais, à l’origine de l’exposition « Mémoire de glace – Vestiges en péril » présentée au Pénitencier de Sion d’octobre 2018 à mars 2019. Cette version revisitée fait la part belle aux Alpes françaises et intègre les découvertes les plus récentes des glaciers savoyards, des vestiges autrichiens totalement inédits en France ainsi que des œuvres picturales issues des collections du département de la Haute-Savoie. Elle rassemble ainsi plus d’une quinzaine de prêteurs : musées, services archéologiques, État, associations et particuliers. Elle est accompagnée d’un catalogue regroupant une série de contributions de spécialistes reconnus sur le climat, les glaciers, l’archéologie glaciaire dans les Alpes et ses découvertes emblématiques.
Le parcours de l’exposition
1. GLACIERS, CLIMAT ET ARCHÉOLOGUES
Dès son entrée dans l’exposition, le visiteur est plongé dans l’environnement des glaciers alpins et leur adaptation continuelle aux variations du climat. Les cycles climatiques naturels de notre planète, au cours desquels alternent des périodes chaudes et froides, sont expliqués et illustrés à l’aide de fragments d’arbres fossiles retrouvés sous les glaciers. La pièce la plus ancienne de l’exposition est un morceau de conifère du val d’Hérens, en Suisse, tué lors d’une avancée glaciaire il y a 8192 ans. Ces arbres sont en effet le témoignage de périodes chaudes où les forêts atteignaient des altitudes plus élevées qu’aujourd’hui, et de leur destruction lors des nombreux refroidissements qui ont émaillé les derniers millénaires. Le plus récent d’entre eux, le Petit Âge Glaciaire, est présenté par des gravures et des peintures du XVIIIe au début du XXe siècle dépeignant les glaciers de la Haute-Savoie au moment de leur plein épanouissement.
Des phénomènes physiques régissent le mouvement des glaciers. Ces masses colossales, loin d’être immobiles, s’écoulent en permanence vers le fond de la vallée. En plus de façonner les paysages alpins, l’écoulement des glaciers transporte ainsi jusqu’à leur pied tout ce que piègent leurs crevasses ; en témoignent les restes de deux accidents célèbres de l’histoire de l’alpinisme (les expéditions du Dr Hamel et du capitaine Arkwright), rejetés par le glacier des Bossons environ un demi-siècle après les tragédies.
La visite se poursuit dans l’intimité même des glaciers, avec la diffusion de l’œuvre sonore « Radio Glaces » de Pali Meursault et Thomas Tilly. Pendant l’été́ 2020, des microphones, hydrophones et capteurs ont été plongés au fond des crevasses, dans les torrents et les replis des moraines, pour ausculter les vibrations émises par la fonte et le mouvement des glaces. Dans cette ambiance enveloppante sont présentés deux films en images accélérées montrant l’écoulement du glacier d’Argentière, en surface et sous le glacier.
Au cœur des préoccupations contemporaines, l’accélération du réchauffement climatique a un impact direct sur les glaciers. Ils sont les marqueurs les plus sensibles de la hausse brutale des températures, dont l’emballement a commencé dès le début du 19e siècle et atteint désormais des records à chaque année. À titre d’exemple, la Mer de Glace perd en moyenne 4 m d’épaisseur de glace par an de nos jours. L’étendue de cette disparition est illustrée par des vidéos d’archive de la première moitié du XXe siècle et la comparaison de photographies anciennes avec celles de l’artiste Jürgen Nefzger. Réalisées sur plaques de verre, ses photos associent le procédé historique qu’est la chambre photographique aux images actuelles de nos glaciers, soulignant l’intensité de leur retrait.
L’un des effets indirects du réchauffement climatique est l’apparition d’une nouvelle faune sur les glaciers : les archéologues. Depuis la découverte d’Ötzi en 1991, à la frontière entre l’Autriche et l’Italie, ils arpentent ces nouveaux territoires scientifiques à la recherche de vestiges révélés par la fonte et l’écoulement des glaciers. La glace possède en effet des propriétés hors normes pour la conservation de la matière organique, habituellement absente des sites archéologiques, offrant ainsi des informations inédites sur la vie depuis la Préhistoire. Une momie de chamois, provenant du glacier suisse de Bis, étonne ainsi par sa bonne conservation.
Malheureusement, ces pérégrinations sont aussi une course contre la montre : les vestiges sont soumis à une rapide décomposition une fois exposés à la chaleur, et les Alpes sont trop vastes pour instaurer une veille généralisée. Des artefacts découverts récemment, en 2018 à Tignes-Val d’Isère et en 2021 au pied du glacier des Bossons, font la transition avec la suite du parcours.
2. L’EMPREINTE DE L’HOMME EN MONTAGNE : L’EXPLOITATION DES RESSOURCES
La fonte des glaces dévoile des vestiges qui attestent la présence humaine en haute montagne. Ces découvertes montrent l’exploitation saisonnière de ressources variées, principalement les matières premières, la faune et les pâturages d’altitude. Le site de Fuorcla da Strem, dans le canton suisse d’Uri, prouve que les montagnards du Mésolithique (-5800 à -7500) extrayaient le cristal de roche à 2815 m d’altitude et que cette matière était utilisée pour façonner d’éclatantes armes et des outils.
Offrant une source de revenus non négligeables dans des territoires peu propices à l’agriculture, l’exploitation des minerais a laissé une empreinte profonde, aujourd’hui révélée par la fonte des glaces. À des altitudes parfois déroutantes, le massif autrichien du Goldberg est connu pour ses mines d’or dont l’entrée se faisait à même le glacier, à 2700m d’altitude. Les fondations de bâtiments, et surtout les restes abandonnés par les mineurs, témoignent des conditions de travail dans cet environnement rude au Moyen Âge et à la Renaissance.
Des fragments de vêtements, des outils et des objets du quotidien, dans un état de fraîcheur parfois exceptionnel, sont présentés pour la première fois en dehors de l’Autriche. En miroir, les sites miniers des Alpes françaises sont représentés par la Mine du Milieu (exploitée du Ier au IIIe siècle, puis aux XIIe et XIIIe siècles), découverte suite à la fonte des neiges persistantes dans la commune d’Huez, en Oisans.
L’exploitation des ressources animales, par la chasse, est illustrée par des arcs et des flèches datés du Néolithique et de l’âge du Bronze. Conservés durant des millénaires grâce à la glace, ces pièces en bois sont aujourd’hui d’une grande rareté en raison de leur fragilité. Les animaux d’élevage fréquentaient également les abords des glaciers durant l’été, impliquant la sécurisation des itinéraires empruntés par les troupeaux. Les piquets utilisés pour le balisage sont aujourd’hui retrouvés en grand nombre aux abords de certains cols, en particulier du Valais. Le marquage des sentiers profitait ainsi à tous ceux et celles qui fréquentaient la haute montagne, lors de traversées parfois périlleuses.
3. SUR LA TRACE DES VOYAGEURS
Les voyageurs qui parcouraient les glaciers et les cols s’exposaient à de nombreux dangers au cours de leurs périples. Une inscription sur une plaque de marbre découverte dans l’antique Axima, actuelle ville d’Aime-La Plagne en Savoie, matérialise la prière d’un Romain au dieu Silvain pour s’assurer sa protection lors de ses voyages dans les « mont alpestres ». L’intrigante statue gauloise en bois découverte au col Collon (Valais), probablement taillée pour être fichée dans le sol, représentait-elle l’un des dieux dont on implorait le secours dans ce milieu hostile ?
D’innombrables artefacts attestent les pertes qui pouvaient être advenir sur ces itinéraires d’altitude ; d’autres, en trop mauvais état, étaient simplement abandonnés par leur propriétaire au gré d’une halte. Fragments d’équipements de transports, d’outils, planches en tous genres, chaussures… Ces artefacts isolés, lorsqu’ils sont retrouvés en grand nombre en un même endroit, laissent parfois envisager un accident comme la perte d’un chargement dans la pente. En ponctuant les cols d’altitude, ces objets dévoilent le tracé de chemins aujourd’hui abandonnés ou fréquentés exclusivement pour la pratique sportive.
C’est parfois le voyageur lui-même qui est retenu par les glaciers et restitué au terme d’un voyage de plusieurs siècles, voire millénaires. Accompagnées de leurs effets personnels, ces dépouilles offrent de rares instantanés de la vie à des époques éloignées de la nôtre.
Le cas le plus célèbre est celui d’Ötzi, « l’homme des glaces », découvert en 1991. Une copie de sa momie, conservée à Bolzano, rappelle la découverte troublante de cet homme du Néolithique mort à 3210m d’altitude dans le Tyrol. Des reconstitutions de ses vêtements, faites d’après les originaux retrouvés dans les glaces, illustrent la richesse des connaissances sur la Préhistoire acquises grâce à cette découverte.
À peine plus jeune, le disparu du col du Schnidejoch (canton de Berne) a été révélé en 2003 par la canicule. Ses effets personnels sont actuellement conservés dans des conditions rigoureusement contrôlées au service archéologique du canton de Berne, et représentés ici par des fac-similés de ses armes. Un extrait du documentaire « Schnidi. Le fantôme du Néolithique » et un court-métrage d’animation réalisé par le studio Caribara, à Annecy, présentent ce mystérieux chasseur préhistorique dont tout fut retrouvé… à l’exception du corps.
Également animé par la magie du studio Caribara, l’homme du Théodule s’abîma sur ce glacier du Valais au XVIIe siècle. Comme pour Schnidi, ce second court-métrage est une adaptation des illustrations de l’artiste valaisan Ambroise Héritier réalisées pour l’exposition « Mémoire de glace. Vestiges en péril ». Ces deux créations font un clin d’œil au Festival du Film d’Animation d’Annecy, dont la Suisse est le pays invité en 2022. Le visiteur y reconnaîtra le riche équipement présenté dans l’exposition, dont une magnifique épée ouvragée et l’un des premiers modèles de pistolets.
À ses côtés, la femme du glacier de Porchabella (Grisons) termine le parcours sur un tout autre registre. D’un milieu social visiblement plus humble, ses vêtements dépareillés dressent le portrait touchant d’une femme du peuple à la fin du XVIIe siècle. Les restes de ses effets personnels sont mis en parallèle avec leurs reconstitutions, révélant la silhouette de ces voyageurs d’un autre temps.
Le parcours se termine sur une série de recommandations concrètes à l’usage de celles et ceux qui, au détour d’un sentier, tomberaient sur des vestiges archéologiques. Comment préserver ces restes tout en facilitant le travail des archéologues ? Des gestes simples mais efficaces, ainsi que les contacts des services compétents, permettent de préserver ce patrimoine éphémère d’une indiscutable richesse.